C’était en mars 2007. Avec
Christelle, nous descendions sur Barcelone où j’allais faire le marathon. Sur
l’autoroute, arrivé près de Perpignan, j’ai aperçu cette montagne coiffée de
blanc dessinée sur le ciel bleu de l’hiver et qui dominait tout. C’était le
Canigou. Impressionné, je me jurais de
monter en haut de cette montagne un jour. Dès l’été suivant, nous passions nos
vacances en Cerdagne, près de Font-Romeu et nous en profitions pour faire
l’ascension en randonnée en passant par la célèbre « cheminée ». Et
c’est lors de ce séjour que j’ai appris qu’il existait une course bien
particulière, fierté des Catalans : le championnat du Canigou. Son
principe est simple, on part de Vernet les bains (650 m d’altitude), on monte
au Canigou à 2785 mètres d’altitude (18Kms et 2180 m de D+) et on redescend à
Vernet en 16 Kms, soit 34 Kms. L’idée de faire cette course était née.
Cinq ans plus tard, me voilà, ce
matin à Vernet, le jour se lève à peine. Il est 6h30, une quinzaine de coureurs
sont partis. Ils font la course avec 8kgs de lest dans leur sac à dos, en
mémoire d’une vieille tradition locale où, au début du 20e siècle,
des habitants de Vernet étaient payés pour gravir le Canigou afin d’aller
chercher des blocs de glace pure pour rafraîchir l’apéritif des riches curistes
de la station thermale de Vernet. Et oui !! Jusqu’où peut aller
l’exploitation des êtres humains.
Il est presque 7heures. Plus de
800 coureurs sont au départ. Je suis sans stress particulier. Je vois bien que
la grande majorité des engagés sont catalans. C’est « leur » course.
Départ à mi-peloton, les 500 premiers mètres cool puisqu’on ne peut pas doubler
puis direction Casteil par la route communale. La route s’élève gentiment, je
commence à doubler, au train. 2km de route puis après Casteil, un chemin qui
s’élève de plus en plus. Rapidement, je passe en mode marche active quand
beaucoup de coureurs courent encore mais je vais quasiment aussi vite qu’eux.
Arrivée au col de Jou, tout va bien même si le rythme global est assez rapide.
Direction Les Marialles par un
sentier rude. Maintenant, tout le monde marche. Je suis entouré de plusieurs
coureurs dont trois féminines. Ici, tout le monde les connait puisque, à chaque
fois que l’on rencontre des spectateurs-randonneurs, ceux-ci les
encouragent : « Allez Nadia, allez Pascale, allez Christelle ».
Le sentier rude dure une couple de kilomètres avant d’arriver sur la large
piste qui permet d’alterner course et marche. Je reconnais cette piste, c’est
par là que nous étions monté en randonnée avec Christelle voilà cinq ans. Je suis une des féminines, les deux autres
prennent une trentaine de mètres d’avance. Nous arrivons maintenant aux Marialles
en 1h17mn, plus de 1000 m de D+avalés. Je suis bien.
Je ne m’arrête pas aux ravitos
car j’ai pris le nécessaire. Nous prenons maintenant le single en légère
descente. Le rythme s’accélère. La prochaine étape est la cabane Arago. J’essaie
de suivre les coureurs qui me devancent. J’ai toujours mes féminines en ligne
de mire cependant le chemin devient plus dur, nous traversons une succession de pierriers. Au bout d’un
long moment, je vois la descente sur le ravin qui permet de traverser le
ruisseau. Le rythme élevé commence à me peser. S’ensuit une montée qui me fait
mal aux jambes puis nous nous remettons
à courir. Enfin, j’aperçois la cabane Arago. J’y suis en 2h08 mn,
altitude 2180 m. Je m’arrête au ravitaillement pour boire, manger mais aussi
souffler. Je prends un gel anti-crampes et c’est reparti.
Montée en marche active sur la pelouse du pla
Cady et je vois la longue file indienne de coureurs. J’ai l’impression qu’ils
sont des milliers. J’ai un coup au moral, je suis parti assez rapidement (trop
sans doute), j’ai mal aux jambes et j’ai l’impression (fausse) d’être à la fin
du peloton. Sur la gauche, on voit maintenant le haut du Canigou. La pelouse
fait rapidement place au minéral. Pour l’instant, le chemin en lacet est bien dessiné
sans trop de grosses pierres. Je vois toujours deux de mes féminines, trois ou
quatre lacets plus haut, qui ont pris le large. Mais progressivement, la pente
durcit et le chemin laisse place à un immense pierrier. Ca y est ! Je sens
les crampes arriver.
M….. Obliger de ralentir.
Certains coureurs commencent à me
doubler. Je vois la cheminée là-bas. J’entends aussi les clameurs des
spectateurs qui nous attendent là-haut. A’ causes des crampes, au lieu de
passer le pierrier, fait de gros blocs de pierres, sur mes deux jambes, je suis
obligé de m’arc-bouter et de m’aider de mes mains. Lent et ridicule. En mon for
intérieur, je peste. Je suis minable. Avoir des crampes là. Au cours de la
descente, oui, c’est normal mais pas maintenant. Je ne peux même pas profiter d’une belle montée de la
cheminée. Bien sûr, j’y arrive et je la monte cette cheminée mais sans
enthousiasme, en gérant mes efforts pour ne pas amplifier les crampes. Le passage vertical et vertigineux est
étroit. Heureusement, sans trop bouchonner,
chacun passe à son tour, gentiment, accroché à son bout de rocher en
attendant le passage. J’y suis en 3h11Mn, je voulais faire moins de 3h. Le pic
n’est pourtant pas large mais il y a un monde fou. Il y même un mini
ravitaillement. Un organisateur me tend un bout de pain d’épice, je prends. Un
autre nous indique la descente. Pas le temps d’admirer le paysage. Ne pas
rester pour ne pas causer de bouchon.
J’entame la descente doucement. J’ai lu et entendu plein de choses effrayantes
sur cette descente. Il y a pas mal de pierres mais moins qu’à la montée.
Rapidement, un vrai sentier se dessine. Je prends un petit rythme en essayant
de rester souple. Je me fais doubler mais ce n’est pas grave. Un spectateur
averti, isolé, m’indique que je suis 302e. Même si ce n’est pas trop
glorieux, cela me remonte le moral. Je ne sens plus les crampes mais je sais
qu’il ne faut pas que je tape dans les pierres où qu’il y ait trop de rupture
de pente. Je trottine, arrive au pic Joffre. Le sentier continue, devient moins
minéral. Je prends mon 2e gel anti-crampes.
Je continue ma progression. Je ne
me fais presque plus doubler. J’essaie de rester souple. Enfin arrive le refuge
des Cortalets. Un groupe d’une dizaine de coureurs sont au ravitaillement. Je
m’arrête brièvement puis repart. Je suis 3e d’un groupe de 6
coureurs. Le sentier est monotrace, descend fortement mais sans à coup et sans
pierre. Un bon rythme s’installe. Nous le maintenons trois ou quatre kms puis
un coureur lâche prise. Le rythme commence à me peser. Je laisse les quatre
autres partir. Ils ont une cinquantaine de mètres d’avance lors de l’arrivée au
ravitaillement de Balatg, déjà près de de 8 kms de descente et 1200 m de
dévalé. Il en reste presqu’autant.
Arrêt rapide au ravito. Il y a un groupe. Je
repars seul vers une large piste. Ne
voyant personne ni devant, ni derrière, j’ai un doute. Me suis-je
tromper ? J’attends quelques secondes, arrive un coureur. C’est bon, je
repars. D’autres nous rejoignent. La descente de la large piste dure un bon moment.
J’ai du mal à suivre le rythme mais m’accroche au petit groupe. Le soleil tape
dur maintenant. Puis, d’un coup, finie la large piste. Place à une descente
d’enfer, monotrace, presque des escaliers, avec de la pierre. Aie, Aie, Aie. Comme
on dit, c’est « casse-gueule ». Nous sommes dans la garrigue et nous
descendons tout droit dans la montagne coupant de temps en temps la large piste
où nous étions auparavant. Ils appellent ça « l’échelle de l’ours ».
Le passage est dur. Je sens les crampes revenir. Je descends doucement.
Nouveau ravito, cela ne manque
pas sur cette course. Juste un coup d’eau, je ne m’attarde pas, je repars.
Nouvelle descente pleine de pierres. On longe un torrent puis le traverse. J’ai
mal. Puis une montée, brève, peut-être 200 m maxi, mais dure, je m’aide de mes mains au départ. Les
crampes sont là, le mal est lancinant. Un petit chemin monotrace et roulant
permet de souffler. Il doit rester à peine quatre kms. Un coureur me dit qu’il
reste juste une descente et c’est fini. Mais j’ai lu que cette descente était
difficile. Elle arrive. En fait, c’est un large chemin, à l’ombre, sans trop de
pierres mais raide. Je cours mais chaque pas tétanise les quadriceps. Elle n’en
finit pas cette descente. J’en ai marre, je n’ai pas de plaisir. Enfin, le
goudron. Une petite route, toujours en descente. Il doit rester 2 kms.
J’ai envie de marcher pour
soulager mes muscles mais je continue de courir car je me dis, plus vite
j’arriverai, plus vite ce calvaire sera fini. J’entre dans Vernet. Le kilomètre
restant pour rallier le centre me paraît interminable même si des dizaines de
spectateurs nous encouragent. J’entends le micro d’arrivée. La foule des
spectateurs est dense. Je vois le photographe de service, j’essaie de sourire. Arrivée.
Top. Fini. 5h 04 mn 29s. Je voulais finir en moins de cinq heures. Déçu. C’est vraiment une course de fadas. Sur le coup, pas envie
de la refaire.
Et puis, direction le repas
d’après course. J’ai faim. Sous l’ombre des arbres, je me retrouve à table avec
deux coureurs des Pyrénées Orientales qui ont fait le marathon du Mont Blanc,
puis un coureur d’ultras (grand raid des Pyrénées) qui vient de Limoges et un
voisin d’Alençon qui vient de faire son premier trail de montagne. Nous
échangeons nos expériences. Sympa.
Deux jours plus tard, en lisant
le journal local, je prends connaissance de mon classement : 305e
sur 799 arrivants. Je regarde les féminines et je vois que Pascale finit 134e
en 4h33, Nadia 148e en 4h36 et Christelle 172e en 4h40.
Selon le journal, Nadia prépare la Diagonale des fous. En fait, je n’aurai pas
dû être avec ces féminines dans la montée, je suis parti beaucoup trop vite.
J’ai mal géré. Beaucoup de coureurs catalans font de cette course leur point
d’orgue de l’année. Ils ont plusieurs participations à leur actif. Ils savent la gérer. C’est leur
course, c’est leur montagne sacrée. Alors, même si je ne suis pas catalan, j’y
reviendrai peut être un jour.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire